Stéphane Sanchez, 23 juillet 2025 à 11:59
L’auteure châteloise publiera fin août Les Osses, aux éditions du Flon. Un récit autobiographique de 155 pages pleines de poésie, d’humour et de peurs, qui convoque le monde rural des années 1950. Entretien.
Elle inspire, la ferme des Osses, au nord de Remaufens. Locataire des lieux à la fin des années 1970, Gisèle Sallin avait choisi de baptiser son théâtre de ce nom «archaïque» et symbolique. L’écrivain châteloise Marie-Claire Dewarrat dédie aujourd’hui un récit d’enfance à la bâtisse de Remaufens, qui fut son refuge l’espace de quelques étés.
Déjà en prévente aux Editions du Flon, Les Osses projette le lecteur dans l’univers rural des années 1950. Ses vingt actes, dont dix-neuf signés par l’auteure au style toujours aussi fin, sonnent comme des nouvelles ciselées autour de la ferme, d’objets emblématiques et de personnages truculents.
Vous n’avez passé que quelques étés à la ferme des Osses, chez votre grand-mère. Pourquoi ne pas avoir choisi la maison de vos parents?
Marie-Claire Dewarrat: J’ai vécu une enfance plutôt nomade, difficile et chaotique. J’en garde des souvenirs dilués, rien d’aussi indélébile que la vie des Osses, qui reste comme une plage préservée, une parenthèse joyeuse, inquiétante et bizarre. C’est la seule maison d’enfance que j’aie.


Le texte est savoureux et poétique. Une enfance fantasmée par l’adulte?
Cela donne ce sentiment?! Ce sont pourtant de vrais souvenirs d’enfance. Je n’ai pas pu revoir cette ferme, mais je l’ai gardée comme elle était dans ma tête. J’en ai des souvenirs précis, vifs de couleurs, d’odeurs et de sons. Un souvenir, c’est une reconstitution, forcément. Mais je parlerais plutôt de remise en situation spontanée.
Vous restez très pudique en ce qui concerne cette enfance difficile. On devine seulement «des cris, des excès, des rages domestiques».
C’est de famille… Nous sommes d’une pudeur maladive. Cela dit, j’assume mon enfance difficile et j’ai délibérément refusé de livrer cette intimité absolue sur la place publique, comme on le voit trop souvent. Cela n’apporte rien, du point de vue littéraire. Je parle de ma mère, mais rien de critique ni de revanchard. Je constate ce qui m’a frappée: sa peur permanente, son incapacité d’user de la vie et d’y prendre plaisir. Mais je ne juge pas, et je n’analyse pas. Aujourd’hui, tout est psychiatrisé. A force de chercher le pourquoi du comment, on finit par brider l’être humain au lieu de le libérer.
Le texte fait la part belle aux choses. Vous en tirez même une philosophie de vie inspirée de l’usage des toilettes…
J’ai toujours fonctionné comme ça: d’abord les lieux, ensuite les choses et enfin les personnes. Tout cela nous façonne. C’était d’autant plus important que les Osses évoquent un temps et un monde révolus. Qui connaît les toilettes de campagne, aujourd’hui? Cul nu sur le gouffre, on ne peut plus faire le malin! Cette simplicité de vivre est un peu perdue. On enfouit aujourd’hui les besoins sous des couches de réflexions. On oublie cette simplicité première.
« L’écriture, c’est une mauvaise manie qui m’est venue sans déclic, ni événement particulier »
Marie-Claire Dewarrat·Ecrivaine
L’humour est très présent, la mort aussi… Une peur devenue tenace, à 76 ans?
Je n’ai pas peur de la mort. Quel intérêt? Ça me mettrait de mauvaise humeur, ça m’empêcherait de vivre. Mais je dois bien le dire: ce passage dont on ne sait rien, hors de portée, c’est presque la chose la plus intéressante de la vie, non? En tout cas pour un écrivain. Et surtout, à l’époque des Osses, la mort était partout présente, partout visible. Elle fait partie de la ferme des Osses, construite près d’un cimetière mérovingien. Et je reste convaincue qu’à tout instant, ces ossements que j’avais trouvés dans la cave, enfant, pourraient aujourd’hui se mettre à bouger…
Qu’est-ce qui s’est joué de si important aux Osses? La naissance d’une vocation?
Juste le temps de l’enfance. Il est vrai que j’étais seule et que je projetais beaucoup de choses. Mais l’écriture, c’est une mauvaise manie qui m’est venue sans déclic, ni événement particulier. J’ai su lire de très bonne heure – «de saines lectures pour la jeunesse», comme on dit. J’ai toujours écrit et dessiné. Et j’aimais me réfugier dans la loyette ou au sommet du poêle des Osses pour le faire. Pour moi, la littérature reste ce regard d’en haut qui décrypte les choses d’en bas.
Vous marchez maintenant «entre deux cannes», comme le faisait cet oncle des Osses si silencieux, qui a inspiré votre démarche. Le début du silence?
Pas du tout! J’ai encore deux inédits sous le coude, Un roman russe et une sorte de chronique littéraire du Covid et du confinement, Confilittérature. Depuis la mort de Michel Moret, fondateur et directeur des Editions de l’Aire, je ne parviens pas à trouver une maison d’édition pour ces ouvrages. Il faut croire que je ne suis plus à la mode… Mais il faut aussi souligner l’étrangeté d’un parcours littéraire commencé avec les Editions de l’Aire et Michel Moret, ancien employé de La Poste, et terminé avec les Editions du Flon et Gaël Sunier, ancien «facteur humain» de La Poste aussi!
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